[德]瓦尔特·本雅明《机械复制时代的艺术品》法文版

1、Luvre dart lpoque de sa reproduction mcaniseIIl est du principe de luvre dart davoir toujours t reproductible. Ce que des hommes avaient fait, dautres pouvaient toujours le refaire. Ainsi, la rplique fut pratique par les matres pour la diffusion de leurs oeuvres, la copie par les lves dans lexercice

2、 du mtier, enfin le faux par des tiers avides de gain. Par rapport ces procds, la reproduction mcanise de luvre dart reprsente quelque chose de nouveau; technique qui slabore de manire intermittente travers lhistoire, par pousses de longs intervalles, mais avec une intensit croissante. Avec la gravu

3、re sur bois, le dessin fut pour la premire fois mcaniquement reproductible il le fut longtemps avant que lcriture ne le devnt par limprimerie. Les formidables changements que limprimerie, reproduction mcanise de lcriture, a provoqu dans la littrature, sont suffisamment connus. Mais ces procds ne rep

4、rsentent quune tape particulire, dune porte sans doute considrable, du processus que nous analysons ici sur le plan de lhistoire universelle. La gravure sur bois du Moyen-Age, est suivie de lestampe et de leau-forte, puis, au dbut du XIXe sicle, de la lithographie.Avec la lithographie, la technique

5、de reproduction atteint un plan essentiellement nouveau. Ce procd beaucoup plus immdiat, qui distingue la rplique dun dessin sur une pierre de son incision sur un bloc de bois ou sur une planche de cuivre, permit lart graphique dcouler sur le march ses productions, non seulement dune manire massive

6、comme jusqualors, mais aussi sous forme de crations toujours nouvelles. Grce la lithographie, le dessin fut mme daccompagner illustrativement la vie quotidienne. Il se mit aller de pair avec limprim. Mais la lithographie en tait encore ses dbuts, quand elle se vit dpasse, quelques dizaines dannes ap

7、rs son invention, par celle de la photographie. Pour la premire fois dans les procds reproductifs de limage, la main se trouvait libre des obligations artistiques les plus importantes, qui dsormais incombaient lil seul. Et comme lil peroit plus rapidement que ne peut dessiner la main, le procd de la

8、 reproduction de limage se trouva acclr tel point quil put aller de pair avec la parole. De mme que la lithographie contenait virtuellement le journal illustr ainsi la photographie, le film sonore. La reproduction mcanise du son fut amorce la fin du sicle dernier.Vers 1900, la reproduction mcanise a

9、vait atteint un standard o non seulement elle commenait faire des oeuvres dart du pass son objet et transformer par l mme leur action, mais encore atteignait une situation autonome les procds artistiques. Pour ltude de ce standard, rien nest plus rvlateur que la manire dont ses deux manifestations d

10、iffrentes reproduction de luvre dart et art cinmatographique se rpercutrent sur lart dans sa forme traditionnelle.IIA la reproduction mme la plus perfectionne dune oeuvre dart, un facteur fait toujours dfaut : son hic et nunc, son existence unique au lieu o elle se trouve. Sur cette existence unique

11、, exclusivement, sexerait son histoire. Nous entendons par l autant les altrations quelle peut subir dans sa structure physique, que les conditions toujours changeantes de proprit par lesquelles elle a pu passer. La trace des premires ne saurait tre releve que par des analyses chimiques quil est imp

12、ossible doprer sur la reproduction; les secondes sont lobjet dune tradition dont la reconstitution doit prendre son point de dpart au lieu mme o se trouve loriginal.Le hic et nunc de loriginal forme le contenu de la notion de lauthenticit, et sur cette dernire repose la reprsentation dune tradition

13、qui a transmis jusqu nos jours cet objet comme tant rest identique lui-mme. Les composantes de lauthenticit se refusent toute reproduction, non pas seulement la reproduction mcanise. Loriginal, en regard de la reproduction manuelle, dont il faisait aisment apparatre le produit comme faux, conservait

14、 toute son autorit; or, cette situation privilgie change en regard de la reproduction mcanise.Le motif en est double. Tout dabord, la reproduction mcanise saffirme avec plus dindpendance par rapport loriginal que la reproduction manuelle. Elle peut, par exemple en photographie, rvler des aspects de

15、loriginal accessibles non loeil nu, mais seulement lobjectif rglable et libre de choisir son champ et qui, laide de certains procds tels que lagrandissement, capte des images qui chappent loptique naturelle. En second lieu, la reproduction mcanise assure loriginal lubiquit dont il est naturellement

16、priv. Avant tout, elle lui permet de venir soffrir la perception soit sous forme de photographie, soit sous forme de disque. La cathdrale quitte son emplacement pour entrer dans le studio dun amateur; le chur excut en plein air ou dans une salle daudition, retentit dans une chambre.Ces circonstances

17、 nouvelles peuvent laisser intact le contenu dune oeuvre dart - toujours est-il quelles dprcient son hic et nunc. Sil est vrai que cela ne vaut pas exclusivement pour luvre dart, mais aussi pour un paysage quun film droule devant le spectateur, ce processus atteint lobjet dart - en cela bien plus vu

18、lnrable que lobjet de la nature - en son centre mme : son authenticit. Lauthenticit dune chose intgre tout ce quelle comporte de transmissible de par son origine, sa dure matrielle comme son tmoignage historique. Ce tmoignage, reposant sur la matrialit, se voit remis en question par la reproduction,

19、 do toute matrialit sest retire. Sans doute seul ce tmoignage est-il atteint, mais en lui lautorit de la chose et son poids traditionnel.On pourrait runir tous ces indices dans la notion daura et dire : ce qui, dans luvre dart, lpoque de la reproduction mcanise, dprit, cest son aura. Processus sympt

20、omatique dont la signification dpasse de beaucoup le domaine de lart.La technique de reproduction - telle pourrait tre la formule gnrale - dtache la chose reproduite du domaine de la tradition. En multipliant sa reproduction, elle met la place de son unique existence son existence en srie et, en per

21、mettant la reproduction de soffrir en nimporte quelle situation au spectateur ou lauditeur, elle actualise la chose reproduite. Ces deux procs mnent un puissant bouleversement de la chose transmise, bouleversement de la tradition qui nest que le revers de la crise et du renouvellement actuel de lhum

22、anit. Ces deux procs sont en troit rapport avec les mouvements de masse contemporains. Leur agent le plus puissant est le film. Sa signification sociale, mme considre dans sa fonction la plus positive, ne se conoit pas sans cette fonction destructive, cathartique : la liquidation de la valeur tradit

23、ionnelle de lhritage culturel. Ce phnomne est particulirement tangible dans les grands films historiques. Il intgre son domaine des rgions toujours nouvelles. Et si Abel Gance, en 1927, scrie avec enthousiasme : Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinma. Toutes les lgendes, toute la mytholog

24、ie et tous les mythes, tous les fondateurs de religions et toutes les religions elles-mmes. attendent leur rsurrection lumineuse, et les hros se bousculent nos portes pour entrer Abel GANCE, Le Temps de limage est venu : Lart cinmatographique, II, Paris, 1927. pp. 94-96, il convie sans sen douter un

25、e vaste liquidation.III de grands intervalles dans lhistoire, se transforme en mme temps que leur mode dexistence le mode de perception des socits humaines. La faon dont le mode de perception slabore (le mdium dans lequel elle saccomplit) nest pas seulement dtermine par la nature humaine, mais par l

26、es circonstances historiques. Lpoque de linvasion des Barbares, durant laquelle naquirent lindustrie artistique du Bas-Empire et la Gense de Vienne, ne connaissait pas seulement un art autre que celui de lAntiquit, mais aussi une perception autre. Les savants de lcole viennoise, Riegl et Wickhoff, q

27、ui rhabilitrent cet art longtemps dconsidr sous linfluence des thories classicistes, ont les premiers eu lide den tirer des conclusions quant au mode de perception particulier lpoque o cet art tait en honneur. Quelle quait t la porte de leur pntration, elle se trouvait limite par le fait que ces sav

28、ants se contentaient de relever les caractristiques formelles de ce mode de perception. Ils nont pas essay - et peut-tre ne pouvaient esprer - de montrer les bouleversements sociaux que rvlaient les mtamorphoses de la perception.De nos jours, les conditions dune recherche correspondante sont plus fa

29、vorables et, si les transformations dans le mdium de la perception contemporaine peuvent se comprendre comme la dchance de laura, il est possible den indiquer les causes sociales.Quest-ce en somme que laura ? Une singulire trame de temps et despace : apparition unique dun lointain, si proche soit-il

30、. Lhomme qui, un aprs-midi dt, sabandonne suivre du regard le profil dun horizon de montagnes ou la ligne dune branche qui jette sur lui son ombre - cet homme respire laura de ces montagnes, de cette branche. Cette exprience nous permettra de comprendre la dtermination sociale de lactuelle dchance d

31、e laura. Cette dchance est due deux circonstances, en rapport toutes deux avec la prise de conscience accentue des masses et lintensit croissante de leurs mouvements. Car : la masse revendique que le monde lui soit rendu plus accessible avec autant de passion quelle prtend dprcier lunicit de tout ph

32、nomne en accueillant sa reproduction multiple. De jour en jour, le besoin saffirme plus irrsistible de prendre possession immdiate de lobjet dans limage, bien plus, dans sa reproduction. Aussi, telle que les journaux illustrs et les actualits filmes la tiennent disposition se distingue-t-elle immanq

33、uablement de limage dart. Dans cette dernire, lunicit et la dure sont aussi troitement confondues que la fugacit et la reproductibilit dans le clich.Sortir de son halo lobjet en dtruisant son aura, cest la marque dune perception dont le sens du semblable dans le monde se voit intensifi tel point que

34、, moyennant la reproduction, elle parvient standardiser lunique. Ainsi se manifeste dans le domaine de la rceptivit ce qui dj, dans le domaine de la thorie, fait limportance toujours croissante de la statistique. Laction des masses sur la ralit et de la ralit sur les masses reprsente un processus du

35、ne porte illimite, tant pour la pense que pour la rceptivit.IVLunicit de luvre dart ne fait quun avec son intgration dans la tradition. Par ailleurs, cette tradition elle-mme est sans doute quelque chose de fort vivant, dextraordinairement changeant en soi. Une antique statue de Vnus tait autrement

36、situe, par rapport la tradition, chez les Grecs qui en faisaient lobjet dun culte, que chez les clercs du Moyen-Age qui voyaient en elle une idole malfaisante. Mais aux premiers comme aux seconds elle apparaissait dans tout son caractre dunicit, en un mot dans son aura. La forme originelle dintgrati

37、on de luvre dart dans la tradition se ralisait dans le culte. Nous savons que les oeuvres dart les plus anciennes slaborrent au service dun rituel dabord magique, puis religieux. Or, il est de la plus haute signification que le mode dexistence de luvre dart dtermin par laura ne se spare jamais absol

38、ument de sa fonction rituelle. En dautres termes : la valeur unique de luvre dart authentique a sa base dans le rituel. Ce fond rituel, si recul soit-il, transparat encore dans les formes les plus profanes du culte de la beaut. Ce culte, qui se dveloppe au cours de la Renaissance, reste en honneur p

39、endant trois sicles - au bout desquels le premier branlement srieux quil subit dcle ce fond. Lorsqu lavnement du premier mode de reproduction vraiment rvolutionnaire, la photographie (simultanment avec la monte du socialisme), lart prouve lapproche de la crise, devenue vidente un sicle plus tard, il

40、 ragit par la doctrine de lart pour lart, qui nest quune thologie de lart. Cest delle quest ultrieurement issue une thologie ngative sous forme de lide de lart pur, qui refuse non seulement toute fonction sociale, mais encore toute dtermination par nimporte quel sujet concret. (En posie, Mallarm fut

41、 le premier atteindre cette position.)Il est indispensable de tenir compte de ces circonstances historiques dans une analyse ayant pour objet luvre dart lpoque de sa reproduction mcanise. Car elles annoncent cette vrit dcisive : la reproduction mcanise, pour la premire fois dans lhistoire universell

42、e, mancipe luvre dart de son existence parasitaire dans le rituel. Dans une mesure toujours accrue, luvre dart reproduite devient reproduction dune oeuvre dart destine la reproductibilit Pour les films, la reproductibilit ne dpend pas, comme pour les crations littraires et picturales, dune condition

43、 extrieure leur diffusion massive. La reproductibilit mcanise des films est inhrente la technique mme de leur production. Cette technique, non seulement permet la diffusion massive de la manire la plus immdiate, mais la dtermine bien plutt. Elle la dtermine du fait mme que la production dun film exi

44、ge de tels frais que lindividu, sil peut encore se payer un tableau, ne pourra jamais soffrir un film. En 1927, on a pu tablir que, pour couvrir tous ses frais, un grand film devait disposer dun public de neuf millions de spectateurs. Il est vrai que la cration du film sonore a dabord amen un recul

45、de la diffusion internationale - son public sarrtant la frontire des langues. Cela concida avec la revendication dintrts nationaux par les rgimes autoritaires. Aussi est-il plus important dinsister sur ce rapport vident avec les pratiques des rgimes autoritaires, que sur les restrictions rsultant de

46、 la langue mais bientt leves par la synchronisation. La simultanit des deux phnomnes procde de la crise conomique. Les mmes troubles qui, sur le plan gnral, ont abouti la tentative de maintenir par la force les conditions de proprit, ont dtermin les capitaux des producteurs hter llaboration du film

47、sonore. Lavnement de ce dernier amena une dtente passagre, non seulement parce que le film sonore se cra un nouveau public, mais parce quil rendit de nouveaux capitaux de lindustrie lectrique solidaires des capitaux de production cinmatographique. Ainsi, considr de lextrieur, le film sonore a favori

48、s les intrts nationaux, mais, vu de lintrieur, il a contribu internationaliser la production du film encore davantage que ses conditions antrieures de production. Un clich photographique, par exemple, permet le tirage de quantit dpreuves : en demander lpreuve authentique serait absurde. Mais ds lins

49、tant o le critre dauthenticit cesse dtre applicable la production artistique, lensemble de la fonction sociale de lart se trouve renvers. son fond rituel doit se substituer un fond constitu par une pratique autre : la politique.VIl serait possible de reprsenter lhistoire de lart comme lopposition de

50、 deux ples de luvre dart mme, et de retracer la courbe de son volution en suivant les dplacements du centre de gravit dun ple lautre. Ces deux ples sont sa valeur rituelle et sa valeur dexposition. La production artistique commence par des images au service de la magie. Leur importance tient au fait

51、 mme dexister, non au fait dtre vues. Llan que lhomme de lge de la pierre dessine sur les murs de sa grotte est un instrument de magie, quil nexpose que par hasard la vue dautrui; limportant serait tout au plus que les esprits voient cette image. La valeur rituelle exige presque que luvre dart demeu

52、re cache : certaines statues de dieux ne sont accessibles quau prtre, certaines images de la Vierge restent voiles durant presque toute lanne, certaines sculptures des cathdrales gothiques sont invisibles au spectateur au niveau du sol. Avec lmancipation des diffrents procds dart au sein du rituel s

53、e multiplient pour luvre dart les occasions de sexposer. Un buste, que lon peut envoyer tel ou tel endroit, est plus susceptible dtre expos quune statue de dieu qui a sa place fixe dans lenceinte du temple. Le tableau surpasse cet gard la mosaque ou la fresque qui le prcdrent.Avec les diffrentes mth

54、odes de reproduction de luvre dart, son caractre dexposabilit sest accru dans de telles proportions que le dplacement quantitatif entre les deux ples se renverse, comme aux ges prhistoriques, en transformation qualitative de son essence. De mme quaux ges prhistoriques, luvre dart, par le poids absol

55、u de sa valeur rituelle, fut en premier lieu un instrument de magie dont on nadmit que plus tard le caractre artistique, de mme de nos jours, par le poids absolu de sa valeur dexposition, elle devient une cration fonctions entirement nouvelles - parmi lesquelles la fonction pour nous la plus familir

56、e, la fonction artistique, se distingue en ce quelle sera sans doute reconnue plus tard accessoire. Du moins est-il patent que le film fournit les lments les plus probants pareil pronostic. Il est en outre certain que la porte historique de cette transformation des fonctions de lart, manifestement dj fort avance dans le film, permet la confrontation avec la prhistoire de manire non seulement mthodologique mais matrielle.VILart de la prhistoire met ses notations plastiques au service de certai